Article dans lesechos.fr
Dans le monde de la recherche comme ailleurs, le mot réforme n'a pas le même sens pour tous. Alors qu'une majorité d'acteurs reconnaît le besoin d'améliorer l'efficacité et l'attractivité du tissu académique français, la méthode pour y parvenir est loin de faire l'unanimité. A gauche, on milite pour des créations massives de postes statutaires et une forte augmentation des financements récurrents. On revendique également une répartition égalitaire des crédits entre les équipes et les laboratoires. La recherche est une sorte de service public qui doit être réparti sur le territoire national et dont l'accès doit être ouvert à tous. Rien de tel à droite. La recherche est une rude compétition mondiale où les meilleurs triomphent. On penche plutôt pour des traitements individualisés destinés à récompenser l'élite et attirer les jeunes en s'inspirant ouvertement du modèle anglo-saxon.
Dans un récent numéro, l'hebdomadaire britannique « Nature », bible incontournable du milieu, a demandé l'avis de quelques chercheurs français. Pierre Chambon, le plus réputé d'entre eux, résume la situation en quelques phrases : « Cela n'a pas de sens de créer des nouveaux postes, si on ne donne pas aux chercheurs les moyens de faire de la recherche de qualité. Mais cela n'a pas plus de sens d'augmenter les financements, si on ne change pas les structures. Autrement, cela reviendrait à arroser le sable. » Selon le célèbre biologiste strasbourgeois en tête de tous les classements internationaux des chercheurs français, « l'efficacité de la recherche française ne sera pas améliorée sans plus de flexibilité dans la gestion des carrières. La France veut une recherche de haut niveau mais rejette l'élitisme. Ce n'est pas possible ».
Pour le physicien Edouard Brezin, proche du mouvement « Sauvons la recherche », l'attractivité de la carrière scientifique souffre de la « concurrence déloyale » des grandes écoles. Alain Trautmann, ancien porte-parole de SLR, estime pour sa part que le gouvernement tente (avec la nouvelle loi sur la recherche) d'imposer un « système américain ». Lundi dernier, SLR a pris position en faveur de la candidate de gauche qui défend « un plan pluriannuel en faveur de l'emploi scientifique ». Le clivage est donc assez conforme à la logique de l'élection présidentielle : d'un côté ceux qui se présentent surtout « contre la précarité », de l'autre ceux qui sont avant tout « pour l'excellence ». Toute la question est de savoir si ces deux approches sont compatibles avec le « modèle français ».
L'évaluation clef
L'évaluation du travail des chercheurs publics est un point de friction permanent entre les différents courants. Edouard Brezin juge le système français « moyenâgeux, incroyable et ridicule ». Il reproche aux évaluateurs d'être élus en fonction de leur appartenance syndicale et non selon leurs mérites scientifiques. Philippe Froguel, généticien « expatrié » à l'Imperial College de Londres, partage cet avis. « Le système français refuse de récompenser le succès. La promotion dépend plus de l'habileté politique que du mérite scientifique. Les financements ne sont pas assez liés aux résultats et l'évaluation ne fait pas la différence entre recherche moyenne et excellente. » Arnold Migus, directeur général du CNRS, estime que l'évaluation est réalisée dans de bonnes conditions. Dans le premier centre de recherche français, cette activité « occupe près de 800 personnes ». Mais selon le directeur des sciences du vivant du CEA, André Syrota, « une évaluation doit être suivie d'action sinon elle ne sert à rien ».
Dans un ouvrage à paraître, le professeur Philippe Even, perpétuel pourfendeur de la médiocrité scientifique, étrille sans pitié ses confrères. Son jugement mérite d'être cité in extenso. « Nos chercheurs n'acceptent guère que les pseudo-évaluations, contre-évaluations ou anti-évaluations à la française parce qu'elles n'ont aucune conséquence. Endogamiques, indulgentes, opaques, établies par des votes pseudodémocratiques à bulletins secrets, émis par des commissions largement composées de chercheurs syndiqués élus au scrutin de liste pour leur engagement au service des chercheurs et non d'experts choisis pour leurs compétences au service de la recherche, évaluations préparées la veille, en coulisse par les syndicats, avant même que les rapporteurs compétents ne se soient exprimés. Un système extraordinairement nuisible, privilégiant l'égalitarisme et la protection sociale plutôt que l'élitisme et la qualité de la recherche. La France s'en est fait une spécialité unique au monde. »
Le fonctionnariat en question
Cet « homme de gauche » qui dirige l'Institut Necker à Paris rappelle dans son ouvrage que pendant les Etats généraux de la recherche organisés à Grenoble en octobre 2004 par SLR, les mots « élite » et « excellence » ont été « hués par toute une salle débout » à chaque fois que prononcés par un intervenant. D'une lucidité assez désespérée, il estime que notre recherche « est plombée par un grand nombre de laboratoires ou d'institutions obsolètes, périmées, quasi moribondes ou mort-nées. Mais il n'y a jamais ni récompense ni faillite dans le secteur public et il faut une poigne de fer pour parvenir parfois à liquider en force les structures mortes et en faire renaître de nouvelles ». Norbert Perrimon, généticien installé aux Etats-Unis (Harvard Medical School à Boston) depuis 1982, s'en prend lui aussi au statut des chercheurs. « Le problème du fonctionnariat est qu'il offre une sécurité de l'emploi à un trop jeune âge. Alors qu'en principe il pourrait être un moyen extraordinaire de réduire la pression sur les savants et leur permettre d'entreprendre des projets risqués et créatifs à long terme, dans les faits cela ne marche pas. Cela émousse rapidement leur acuité et leur compétitivité. » Lui aussi s'étonne de la présence des syndicats dans les comités d'évaluation. « En tout état de cause, ils ne devraient pas faire partie des comités d'évaluation. »
Comment faire évoluer un système visiblement tiraillé entre des intérêts contradictoires ? Le directeur général de l'Inserm, Christian Bréchot, a réussit à introduire en douceur un mode de recrutement en deux étapes dans son institut. Ce système permet de tester en vrai grandeur la vocation des jeunes chercheurs pendant une période de 5 ans qui débouche sur une titularisation. Très inquiet pour l'avenir de la recherche médicale française, qui ne cesse de perdre du terrain, il milite pour un changement « révolutionnaire ». Transformer les EPST en Epic. Dans les premiers (CNRS, Inserm, Inra...), les chercheurs ont un statut de fonctionnaires. Dans les seconds (CEA, Ifremer..), ils possèdent un contrat de droit privé.
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