Madame la ministre,
Madame la présidente,
Mesdames et messieurs,
J’ai choisi de me rendre dans l’un de nos laboratoires
les plus prestigieux car les Français doivent savoir que le XXIe siècle
se décidera avec vous, c’est-à-dire avec le monde de la recherche et de
l’université. En 1993, j’ai eu l’honneur de conduire le ministère
aujourd’hui dirigé par Valérie Pécresse, avant de retrouver, douze ans
plus tard, celui de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur
et de la Recherche. Je garde de tout cela un souvenir fort. J’ai aimé
le contact avec les chercheurs et les universitaires. J’y ai vu de la
passion, de l’exigence, du désintéressement, mais aussi des doutes.
J’ai été émerveillé par certaines rencontres. J’ai été saisi par la
vitalité d’une communauté scientifique et universitaire qui ne cherche
qu’à donner le meilleur d’elle-même. Et j’ai été convaincu que l’avenir
de la France se jouait là.
Dans la foulée d’une élection présidentielle qui est
appelée à imprimer du mouvement à notre pays, j’ai décidé de venir très
vite au devant de cette communauté que vous représentez parce que je
crois que ce sont les forces de l’intelligence qui susciteront et
alimenteront une croissance économique et sociale que nous souhaitons
plus forte, plus durable, plus éthique.
Ce sont les forces de l’intelligence qui nous
détourneront de la mécanisation des consciences qui guettent les
peuples dont la vigilance des esprits se relâche.
Ce sont les forces de l’intelligence qui permettront à
la France de servir la condition humaine. Ces forces qu’a
merveilleusement incarnées Pierre-Gilles de Gennes qui vient de nous
quitter. Professeur et chercheur d’exception, il manque à la France. A
cette France qui voit aujourd’hui, et dans ces lieux mêmes, avec
Wendenin Werner, une nouvelle génération exprimer la filiation de
l’excellence et la vitalité de la pensée.
L’un des défis de notre temps, mesdames et messieurs,
c’est bien celui de la bataille de l’intelligence contre toutes les
barbaries, contre l’ignorance susceptible d’alimenter toutes les peurs
et leurs cortèges de comportements irrationnels.
C’est bien celui de la bataille entre un savoir
confronté, échangé, enseigné, diffusé et offert à tous et un
obscurantisme murmuré qui porte les rumeurs et travaillent les mémoires
jusqu’à obscurcir les consciences.
Rien donc ne doit nous retenir pour engager et gagner cette bataille de l’intelligence.
Rien ne doit nous écarter de la quête de vérité.
Rien ne doit entraver la volonté de porter notre pays au plus haut de la connaissance.
Rien ne doit aliéner aucune des libertés de penser à l’épreuve des faits pour agir plus lucidement.
C’est pourquoi la recherche n’est pas une pratique comme les autres.
Les femmes et les hommes qui s’y engagent ont la lourde
et belle responsabilité d’éclairer l’avenir en même temps que de
contribuer à fournir à notre pays sa capacité à innover. Cela pour
faire que la voix de la France soit écoutée dans le concert des nations
les plus avancées et entendue de celles qui fondent une partie de leur
volonté de développement sur ce que notre pays est capable de donner à
voir et à connaître.
Chacun s’accorde, en effet, à considérer que nous
sommes entrés dans la société et l’économie de la connaissance. Le mot
ne suffit cependant pas à créer la chose. En effet, et c’est un truisme
que de le dire, l’échange de biens et de services nouveaux suppose
préalablement leur production.
Cette production relève tout à la fois de la recherche
fondamentale qui nourrit aujourd’hui les engagements et investissements
de demain et la recherche finalisée et appliquée qui, tout en utilisant
les fruits de la première, s’exprime dans l’innovation, son
anticipation et son suivi. C’est dire combien sont stériles les
oppositions entre l’amont et l’aval de la recherche, entre l’académique
et l’économique.
Les objets de la science sur lesquels s’applique la
liberté de penser de tous ceux pour qui la pratique de la recherche est
en quelque sorte une façon professionnelle d’être au monde sont aussi,
souvent, la traduction de problèmes industriels et sociétaux.
Ce que je viens de dire là, ce ne sont pas des
compliments de circonstances liés à la situation de cette rencontre. Je
pense profondément que la démarche même du praticien de la recherche,
quel que soit le domaine considéré, porte en soi des vertus qui vont
bien au-delà de l’expertise de haut niveau appliquée aux objets
étudiés.
En effet, il est assez peu commun, pour valider ses
idées, de se placer dans les conditions les moins favorables pour
s’assurer de leur robustesse.
Construire les modalités qui permettent de soumettre à
l’épreuve des faits ce que l’on pense, accepter de confronter ses
résultats à ceux des meilleurs de ses pairs, dans le cadre d’une
compétition mondiale âpre, c’est la compétence des praticiens de la
recherche rompus aux exigences scientifiques internationales. Cette
compétence doit, c’est ma conviction, pénétrer plus encore le champ
économique et social pour supporter une véritable éthique
entrepreneuriale au service de la croissance.
Je récuse fondamentalement l’idée que l’académique et
l’économique soient mutuellement exclusifs. Le rayonnement scientifique
et le développement économique sont nécessairement liés.
Les savoirs liés aux travaux que conduisent, par
exemple, nos spécialistes des sciences humaines et sociales sur
l’histoire, les comportements, les fondements sociétaux de nombreux
pays dans le monde constituent un patrimoine culturel qui justifie, en
soi, la recherche.
Imaginons ce que pourrait être l’existence de
séminaires réguliers, organisés autour de ces savoirs au profit de nos
cadres et dirigeants d’entreprises engagés dans la compétition
économique mondiale. Ils trouveraient là des clés de comportement pour
négocier avec leurs partenaires étrangers et augmenter ainsi leurs
chances de pénétration des marchés. La qualité du rapport à autrui
passe évidemment par la connaissance de ses références culturelles et
comportementales.
Dès lors, au-delà de sa valeur propre, la recherche
dans ces domaines offrirait ici une plus value significative dans un
univers où on ne l’attend pas. L’innovation ce peut être aussi ça.
Je veux penser ici aux jeunes chercheurs, doctorants ou
nouvellement docteurs dont la société française éprouve des difficultés
à les percevoir comme des professionnels et incline trop souvent à les
penser en état de prolongation d’études.
Il faut changer cette perception. C’est une urgence économique et culturelle.
Nous ne pouvons pas laisser partir notre intelligence
pour servir le développement des nations amies. Notre action doit
engager la France à mobiliser leurs compétences au meilleur niveau et
donc à valoriser leur engagement pour le développement de notre
croissance.
Je suis profondément résolu à aller de l’avant dans le
pacte pour la recherche. Lequel doit sceller trois grandes priorités
fondamentales à mes yeux.
D’abord, créer dans nos laboratoires les conditions de
l’exercice de la science au meilleur niveau pour faire de nos
performances des performances mondialement reconnues et enviées.
Ensuite, traduire ces performances dans un lien
organique avec le monde économique et social pour nourrir durablement
la prospérité de notre pays.
Enfin, assurer une très large diffusion de la culture
scientifique et technique. Dans un monde complexe, où la vitesse de
transmission des informations et les évolutions technologiques tendent
à ériger des frontières entre les générations, le partage des savoirs
constitue un indépassable facteur de cohésion sociale. C’est de la
responsabilité de la communauté universitaire d’offrir à notre société
les éléments de compréhension du monde dans lequel on vit. Mais c’est
de la responsabilité du politique de forger un état stratège qui décide
des grands choix pour le pays, son développement, son rayonnement dans
le monde et la construction d’une citoyenneté nouvelle où le respect de
l’autre est une exigence absolue dont le savoir doit alimenter la
source.
Cette exigence porte en soi, je veux le dire ici, à la
fois une nouvelle ambition pour l’université et une ambition pour une
nouvelle université. Le statut quo serait la pire des politiques. Vous
connaissez les maux de notre système universitaire, nous avons trop
longtemps tardé à les regarder en face. Aujourd’hui nous allons agir.
Cette "université de demain" ne sera, ni le modèle que
nous connaissons aujourd’hui dont chacun reconnaît les déficiences, ni
un modèle "emprunté" qui serait rejeté dès lors qu’il ne prendrait pas
appui sur notre tradition et sur notre histoire.
Ce modèle sera un modèle qui autorise la diversité des réponses et la différenciation des excellences.
Ce point constitue, pour moi, le fil conducteur d’une
politique ambitieuse pour l’enseignement supérieur et la clef de sa
réussite ; car il permet à chaque acteur d’exprimer son génie propre et
ses capacités d’excellence, dès lors que l’on accepte que l’excellence
s’exprime dans l’ensemble des missions et à tous niveaux et que l’Etat
sache la reconnaître et la soutenir.
C’est une volonté d’airain pour promouvoir la réussite
et faire émerger les talents, tous les talents, qui doit accompagner
plus de démocratisation pour l’accès à l’éducation supérieur. Cette
volonté doit donner à notre jeunesse ce qui lui revient : le droit et
le devoir de se forger un avenir dans et pour un pays conscient de ses
responsabilités nationales et internationales. A cet égard, j’affirme
avec force que notre nation a besoin d’une jeunesse très
majoritairement intellectuellement et professionnellement armée.
Le problème de la France c’est que l’enseignement
supérieur n’a jamais été suffisamment doté. Mais le défi est que
l’effort à accomplir soit véritablement un investissement productif.
L’autre problème de la France, ce n’est pas, comme je
l’entends trop souvent dire, qu’il y a trop d’étudiants : il n’y en a
pas assez !
De l’accueil à l’insertion, en passant par les
conditions de vie, l’amélioration de l’enseignement, l’accès aux
bibliothèques, l’ouverture aux autres cultures une nouvelle politique
doit s’engager. Cette période bénie "où l’on fait ses études" doit être
l’espace de toutes les audaces.
L’enseignement supérieur c’est évidemment aussi l’organisation de ses établissements.
En l’espèce, le problème tient à l’étendue du champ des
compétences dévolues aux établissements. Pour certains, il est trop
vaste ; pour d’autres, trop limité. Mais les comparaisons
internationales conduisent clairement à penser que l’avenir verra à
coup sûr les établissements dotés de compétences considérablement
élargies.
Nous n’avons pas suffisamment préparé cet avenir-là.
Depuis 1984 et la loi Savary, nous n’avons réalisé aucun changement
capable de prendre en compte les évolutions de notre temps. Le cadre
juridique n’a pas bougé et il explique bien des déconvenues, mais sur
le terrain les universités, elles, ont bougé. Des initiatives ont été
prises pour contourner les carcans bureaucratiques. Les esprits, eux
aussi, ont évolué. Le temps est donc venu d’engager les réformes
nécessaires à la nouvelle donne. C’est pourquoi, avec Valérie Pécresse,
nous légiférerons dès cet été.
Nous allons créer, dès maintenant, les conditions d’un
renforcement de l’autonomie et donc de la responsabilité des
établissements. Il convient de permettre à ceux-ci de s’inscrire dans
une logique de performance où la réflexion sur la qualité même de la
performance devient en soi un acte de responsabilité.
Ici, se pose naturellement le problème de leur gouvernance.
Plus les établissements sont libres, plus ils
développent leur logique propre et plus il apparaît difficile pour
l’Etat de les "diriger". Comment, dès lors, conduire une politique
nationale de l’enseignement supérieur ? Sauf à trouver gloire à
l’inutilité de son action, l’Etat doit forger une politique nationale.
S’agissant de l’enseignement supérieur, cette
conviction se nourrit de nombreuses certitudes : préparer "la société
et l’économie de la connaissance", répondre aux besoins des
territoires, former les jeunes et les moins jeunes "tout au long de la
vie" dans l’univers mouvant des savoirs et des technologies, maîtriser
la complexité, favoriser l’égalité des chances tout en assurant la
formation d’élites françaises dans le "village global", contribuer
ainsi à soutenir la place de la France dans le monde, rester le creuset
d’une intelligence française rayonnante.
Dans ce flot d’exigences multiples, il faut organiser
la diversité pour faire émerger les réponses adaptées aux besoins de la
société. La qualité des contributions, plus que leur nature, fondera
leur égale dignité.
Si l’on accepte ce point de vue comme repère pour agir,
il devient alors plus facile de définir une liberté accrue des
établissements.
Encore trop nombreux sont ceux qui pensent, au nom d’un
idéal de réalisation immédiat ou encore au nom d’une nostalgie
planificatrice, que l’intervention de l’Etat réclame un nécessaire
contrôle a priori. Or, tout l’art de l’Etat consiste à voir dans
l’action des acteurs la promesse d’une production de qualité mesurable
plutôt que la révérence à un cadre pré-établi.
Certains diront qu’en acceptant la diversification,
l’Etat joue la concurrence "sauvage". Nous leur répondrons "émulation,
génie propre, efficacité".
C’est, en effet, la rigidité du service public qui
conduit à son affaiblissement. C’est pourquoi il y a beaucoup
d’avantages à emprunter une voie qui associe cadre commun et liberté
d’action.
Aussi faut-il faire simple et tendre à l’efficacité en
confiant aux établissements la capacité de répartir les moyens qui leur
sont alloués en fonction des objectifs dont ils ont la charge au nom du
pays. En incitant les acteurs les plus concernés à s’engager dans une
organisation qui reconnaît la diversité des compétences, des
environnements, des objectifs et des ambitions, le renouvellement de la
gouvernance s’en trouvera renforcé. C’est donc favoriser "une meilleure
division du travail" pour répondre aux enjeux de la compétition
internationale comme aux enjeux de développement national, régional ou
encore local et cela sans altérer aucunement l’identité de chacun de
nos établissements publics mais bien au contraire en leur permettant de
valoriser leurs qualités et stratégies propres.
Ce sont les modes d’organisation et de réponses qui
deviennent contingents aux problèmes à résoudre et non l’inverse comme
le porte en soi les "initiatives imposées". Aussi ne s’agit-il en
aucune manière pour les établissements de revêtir la tunique de Nessus.
L’agence d’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur, autorité indépendante inscrite dans la loi
sur la recherche, apparaît, dans ce contexte, décisive pour stimuler
l’initiative des établissements comme pour transformer l’action de
l’Etat.
Il faut aujourd’hui franchir un pas majeur et mettre en
œuvre une évaluation de la performance sanctionnée par la production
d’un profil d’efficacité en fonction des objectifs fixés et des
résultats attendus selon les domaines considérés.
Penser les tâches de l’enseignement supérieur, toutes
les tâches, comme d’égale dignité relève de l’éthique même réclamée par
le service de l’Etat. N’en être pas convaincu serait une entrave à la
liberté même de servir. De cela aussi nos établissements d’enseignement
supérieur doivent être imprégnés pour que la liberté nouvelle soit une
vraie responsabilité.
Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs,
La France a besoin de faire de la connaissance, de sa
production, de sa diffusion et de sa transformation la matière première
de son développement, de son rayonnement et le ferment de son ambition
collective.
Seuls les faits nous jugent et de cela nous sommes et serons donc solidairement comptables aux yeux des générations futures.