Le geste fondateur
En mars 2000, lors du Conseil européen de Lisbonne, l'Union européenne, confrontée à une croissance économique alanguie, à la globalisation de l'économie et à la transition vers une société de la connaissance, s'est donnée comme ambition, de devenir à l'horizon 2010, "I'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale".
Pour y parvenir, une stratégie globale a été définie. Elle se fondait sur une analyse des forces et des faiblesses de l'Europe et mettait en avant le rôle moteur du "triangle de la connaissance": l’éducation, la recherche et l’innovation. Elle visait notamment à :
- "Préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance " ;
- "Moderniser le modèle social européen " ;
- "Entretenir les conditions d’une évolution saine de l’économie et les perspectives de croissance favorables en dosant judicieusement les politiques macroéconomiques".
Le premier de ces objectifs se décomposait ainsi :
- développer une société de l'information pour tous ;
- établir un espace européen de la recherche et de l'innovation ;
- créer un environnement favorable pour la création d'entreprises et les entreprises innovantes ;
- compléter le marché intérieur afin de faciliter la circulation des biens et des services en Europe;
- intégrer les marchés financiers et les rendre plus efficaces.
Le second objectif mettait l'accent sur l'éducation, la politique de l'emploi, la modernisation des systèmes de protection sociale et la lutte contre l'exclusion.
Au-delà des instruments existants, la réalisation de cette ambition faisait appel à une nouvelle méthode dite de "coordination ouverte" des politiques nationales qui vise à les améliorer et à développer des synergies entre elles.
Les premiers pas
Dans un contexte économique difficile, les progrès en vue d'atteindre ces objectifs ont tardé à se matérialiser et le Conseil européen de Barcelone en mars 2002 a jugé nécessaire de préciser certains objectifs. Ainsi, il a établit des objectifs quantitatifs à atteindre:
- accroître les investissements en R&D pour atteindre 3% du PIB dont au moins les deux tiers venant du secteur privé ;
- réduire les formalités administratives afin de faciliter l'entreprenariat ;
- atteindre un taux d'emploi de 70% de la population active (60% pour les femmes).
Consacrer 3% du PIB à la R&D était sans conteste un objectif ambitieux. En effet, le niveau d'investissement dans la R&D en Europe s'élevait en 2000 à 1,9% du PIB, comparé à 2,7% aux États-unis et 3% au Japon. L'écart entre les investissements dans la recherche dans l'UE et aux Etats-Unis s'élevait à plus de 120 milliards d'Euros par an. Pour atteindre l'objectif des 3%, l'effort de R&D dans l'UE devait augmenter de plus de 50% et l'impact sur la croissance et l'emploi dans l'UE à long terme était estimé à environ 0,5% de production supplémentaire et de 400 000 emplois supplémentaires chaque année après 2010.
Aussi, dès septembre 2002, la Commission adoptait une première communication intitulée "Plus de recherche pour l'Europe. Objectif : 3% du PIB" contenant des recommandations pour les Etats membres, l'industrie et les autres parties prenantes au dossier, en vue d'atteindre l'objectif des 3%.
Le Conseil européen de Bruxelles en mars 2003 a marqué le renforcement de l'engagement des Etats membres à atteindre l'objectif de Barcelone et a demandé la mise en place d'actions concrètes pour atteindre l'objectif des 3% et pour renforcer l'Espace européen de la recherche et de l'innovation au bénéfice de tous dans l'Europe élargie.
Le 30 avril 2003, la Commission publiait une deuxième communication intitulée "Investir dans la recherche: un plan d'action pour l'Europe", qui identifie les actions nécessaires aux niveaux national et européen pour renforcer la recherche publique et pour attirer plus d'investissements privés dans la recherche et l'innovation dans l'UE.
Ces recommandations demeuraient peu suivies d'effets et en 2004, dans son traditionnel rapport de printemps, et dans les trois rapports qui l'accompagnaient et qui portaient respectivement sur la mise en œuvre des politiques économiques pour la période 2003-2005, sur l'emploi 2003-2004, et sur le marché intérieur, la Commission dressait un tableau peu optimiste de l'état de la compétitivité de l'économie européenne et elle invitait les gouvernements à donner un nouvel élan à la stratégie de Lisbonne.
Lors du Conseil de printemps des 25 et 26 mars 2004, les dirigeants européens réaffirmaient "la validité du processus et des objectifs" de Lisbonne tout en soulignant que le rythme des réformes devait être nettement accéléré". Ils demandaient également à l'ancien Premier ministre néerlandais Wim Kok, nommé à la tête d'un groupe d'experts de haut niveau, de proposer des solutions pour relancer le processus de Lisbonne.
Le Rapport Kok fut présenté à la Commission et au Conseil européen au début du mois de novembre 2004. Il dressait un bilan sévère de l'état de l'économie européenne et analysait les facteurs expliquant la lenteur des progrès effectués, parmi lesquels figurent notamment, selon eux, "un programme trop chargé", une "coordination insuffisante", des "priorités divergentes", et, surtout, un manque de volonté politique des États membres. Il préconisait de recentrer la stratégie sur le double objectif de croissance et de création d'emplois. Il encourageait également les États membres à davantage "s'approprier" le programme de réformes prévues.
La révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne
Sur la base des conclusions du rapport Kok, le Conseil Européen des 22 et 23 mars 2005 reconnaissait que "cinq ans après le lancement de la stratégie de Lisbonne, le bilan était mitigé" et qu'il apparaissait "indispensable de relancer sans attendre la stratégie de Lisbonne et de procéder à un recentrage des priorités sur la croissance et l'emploi, en misant principalement sur la connaissance, l'innovation et la valorisation du capital humain. Pour atteindre ces objectifs, l'Union doit davantage mobiliser tous les moyens nationaux et communautaires appropriés – y compris la politique de cohésion – dans les trois dimensions économique, sociale et environnementale de la stratégie"
Pour assurer la mise en œuvre et le suivi de cette stratégie renouvelée les États membres sont invités à établir sous leur responsabilité des "programmes nationaux de réforme (PNR)" dans le cadre de "lignes directrices intégrées" proposées par la Commission, celle-ci présentant, de son côté, un "programme communautaire de Lisbonne " couvrant l'ensemble des actions de son ressort.
Les conclusions du Conseil évoquaient également de multiples mesures concrètes comme le lancement du 7ème PCRD, du Programme cadre compétitivité et innovation (CIP), du Conseil européen de la recherche, de l'Institut européen de technologie (IET), le renforcement du rôle de la Banque européenne d'investissement, le développement de l'éducation tout au long de la vie…
Les "lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi" étaient présentées le 12 avril 2005 et le programme communautaire de Lisbonne, le 20 juillet 2005. Ce programme est composé de 50 initiatives regroupées sous huit "actions essentielles à forte valeur ajoutée":
• l'aide à la connaissance et à l'innovation en Europe,
• la réforme de la politique des aides d'État,
• la simplification du cadre réglementaire,
• l'achèvement du marché intérieur des services,
• la réalisation d'un accord dans le cycle de Doha,
• l'élimination des obstacles à la mobilité dans les domaines du transport, de la main-d'œuvre et de l'éducation,
• la mise au point d'une démarche commune à l'égard des migrations économiques,
• le soutien des efforts visant à traiter des conséquences sociales
Tous les PNR étaient prêts à la fin 2005 et les États membres ont présenté un rapport sur leur mise en œuvre fin 2006.
Un premier bilan
Dans son premier rapport annuel sur la stratégie de Lisbonne en janvier 2006, la Commission reconnaissait que le processus de réforme économique commençait à donner des résultats sans qu'il y ait lieu "de verser dans l’optimisme béat". Elle définissait alors quatre domaines prioritaires :
• la connaissance et l'innovation, avec des actions comme le lancement d'"initiatives technologiques communes", la création de l'IET, la protection de la propriété intellectuelle et les normes.
• le développement du potentiel des entreprises, notamment des PME, en se fixant l'objectif de réduire de 25% les démarches administratives d'ici 2012.
• la modernisation des marchés du travail.
• l'énergie et changement climatique.
On notera l'apparition d'un nouveau domaine qui ne faisait pas initialement partie de la stratégie de Lisbonne: la politique énergétique
Pour sa part, la Commission estimait avoir obtenu des résultats sur 75% des actions à atteindre, en particulier avec l'adoption de la directive services, les progrès réalisés dans le domaine des services financiers, la révision des règles sur les aides d'Etat et l'adoption du 7ème PCRD et du CIP...
Au niveau des États membres, les niveaux de R&D ont augmenté et devraient atteindre 2,6% du PIB d'ici 2010 se rapprochant ainsi de l'objectif initial de 3%.
Depuis lors, une nouvelle politique de cohésion a vu le jour. Elle prévoit de concentrer sur la croissance et d'emploi 75% des fonds de l'objectif "Compétitivité régionale et emploi" et 60% de ceux consacrés à l'objectif "Convergence".
Le CIP a été adopté le 22 octobre 2006 et doté d'un budget de 3,62 milliards €. Il comporte 3 volets:
• le programme pour l'innovation et l'esprit d'entreprise qui rassemble les actions visant à promouvoir l'esprit d'entreprise, la compétitivité industrielle et l'innovation et vise spécifiquement les PME
• le programme d'appui stratégique en matière de technologies de l'information et de la communication
• le programme « Énergie intelligente - Europe ».
Le 7ème PCRD a été adopté le 22 décembre 2006, avec une durée, portée de 5 à 7 ans et un volume qui atteint 54,5 milliards d'Euros, en augmentation de près de 40% en termes réels par rapport à son prédécesseur. Il comporte notamment la création du Conseil Européen de Recherche annoncée en 2005.
Enfin, le 12 décembre 2006, dans son rapport annuel intitulé "Travailler pour la croissance et l’emploi – une année charnière", la Commission a présenté une analyse plus optimiste des efforts entrepris. Elle souligne que la nouvelle version de la stratégie pour la croissance et l’emploi porte ses fruits et que la reprise économique actuelle fournit une fenêtre d’opportunité pour accélérer le rythme des réformes. Le rapport fait en outre le point sur la mise en œuvre des engagements des États membres dans les quatre domaines d’actions prioritaires ci-dessus. Ce rapport sera soumis au Conseil européen de printemps, en mars 2007.
Note publiée par le CLORA.